Journal d'un yoriki : chapitre II
Le 22 du mois de Hida :
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Et bien si j'avais su, je
n'aurais pas parlé de morts à la légère. La
capture de K ne fut pas chose aisée et une fois de plus j'ai
été confronté
aux puanteurs de l'Outremonde.
Mais commençons par le commencement. Nous sommes partis le jour
de la fête
d'Hida, accompagnés de Nuikito. Notre chemin passait par les
terres de la
Grue, et j'avoue qu'une certaine tension y règne. Au quatrième
jour de
voyage, à la nuit tombée, nous débusquâmes une huitaine de
brigands aux
prises avec un cavalier armé d'un baton. J'ai tout d'abord
tenté de faire
entendre raison aux agresseurs, mais rien n'y fit. Alors le
combat
s'engagea. Sukunaï maitrisa vaillemment deux bandits, tandis que
mon sabre
en éliminait deux autres. Cependant la surprise est venue de
Yoshi-san.
Comme je me l'étais figuré c'est une véritable machine à
tuer. Il élimina
trois rustres en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ce
en usant
des techniques Mirumoto (il m'a révélé par la suite qu'elles
sont un don
d'un magistrat Dragon qui lui était redevable). Quant à
Nuikito, et bien
elle a fait une fort jolie figurante...
Quoi qu'il en soit nous avions sauvé le cavalier qui nous
révéla être au
service du Daymio Grue local. Les brigands n'en voulaient qu'à
sa bourse et,
selon le conseil de Sukunaï, j'ai laissé filer ceux qui le
pouvaient encore
(m'est avis qu'ils ne passeront pas l'hiver !). Le messager nous
révéla
devoir accomlir sa mission au plus vite, mais promit de nous
recommander à
son seigneur.
Ce dernier possédait un manoir agréable où l'accueil fut
chaleureux. Lavés
et délassés nous partageâmes le repas du seigneur. Il
s'agissait d'un homme
âgé, au maintien digne du guerrier autrefois redouté.
Malheureusement une
terrible maladie le condamnait à une mort proche et fort peu
glorieuse.
Ainsi il nous révéla que, malgré ses demandes réitérées,
son clan n'avait
pas daigné l'adjoindre à un poste militaire. J'avais pitié de
cet homme
honorable, et j'ai cru devoir lui révéler que je comprenais sa
détresse. Je
fis aussi quelques allusions à mes précédents séjours sur les
terres de son
clan. Quelle naïveté de ma part, j'aurais du remarquer le
regard géné de son
fils, un jeune shugenja. Le diner se termina dans une ambiance
glaciale,
malgré les remerciements qui nous furent adressés.
Le lendemain nous prîmes congé de l'héritier du daymio sous
une pluie
battante. Nous pensions le seigneur occupé à prier dans quelque
temple, mais
au bout d'une lieue nous le trouvâmes sous l'averse, en armure.
Il désirait
une mort de bushi et par conséquent il me provoqua en duel.
Refuser aurait
été d'une impolitesse sans nom, mais étais-je prêt pour
autant à tuer un
vieil homme malade ?
La main au sabre nous nous sommes fixés, une éternité semble
t'il. Malgré la
pluie nous n'avons cillé ni l'un ni l'autre. Puis j'ai frappé,
dans le vide,
avant que sa réplique n'échoue. Désormais le duel se
poursuivrait sabre en
main, ce qui était tout à mon avantage. Mais je ne voulais
d'une victoire
honteuse, alors j'ai tenté de le raisonner sans combattre. Je
n'ai fais que
parer, feignant de ne pouvoir que me défendre. Comment aurais-je
pu humilier
un tel homme ? Cependant bientôt il me signifia qui'il était
insensé
d'accepter un duel pour ne pas combattre ensuite. Qu'aurais-je pu
répondre ?
J'ai laissé mon sabre le faire, et l'ai décapité suite à son
dernier assaut.
Il vécut comme un samuraï et mourut comme un samuraï, à cela
il n'y a rien à
redire. Il aurait pu se retirer mais ce faisant il aurait
renoncé au code,
et cela un vrai bushi ne peut s'y résoudre. Par la suite nous
informâmes son
fils, qui nous avoua s'y être préparé. Mais nous avons conclu
un accord et
jamais je ne me vanterai d'avoir tué son père.
Quelques jours plus tard nous rencontrâmes quelques patrouilles
Daidoji le
long de la frontière avec le Crabe. Des patrouilles si
importantes si loin
des terres du Fauve ? Je ne me l'explique pas. Mais il est
certain que les
domaines Hida se révélèrent aussi sillonnés par moults
troupes, et je doute
qu'il ne s'agisse que de manoeuvres. Nous avions projeté de nous
rendre à
Kyuden Hida pour obtenir l'aide des autorités. Mais, tous
serviteurs de
l'Empereur que nous sommes, il ne nous fut pas permis de
pénétrer en la
grande forteresse. Le seul renseignement que l'on voulut bien
nous donner
fut le suivant : un cousin de K, J, offiçait en ville comme
"herboriste".
Il ne nous fut guère difficile de trouver sa demeure, fort
étrange
d'apparence. Pendant notre première entrevue, assis derrière
son comptoir il
ne nous révéla qu'une chose. Son cousin possédait une boutique
abandonnée,
selon lui depuis des années. Sans tarder nous nous y rendîmes.
Force était
de constater qu'elle était habitée par une jeune fille qui se
présenta comme
la servante de K. Après un petit interrogatoire et une fouille
de la
boutique, elle nous apprit que son maitre était revenu
récemment, pour
repartir le matin même. Selon ses dires K devait s'en revenir
avant le soir.
Par conséquent nous nous installâmes dans la boutique, prêts
à l'accueillir.
Vaine attente, vains efforts.
Le jour suivant et celui d'après nous avons rendu visite à J.
Je lui ai bien
fait comprendre qu'il n'avait pas intérêt à cacher son cousin,
rien n'y fit.
Nous avions pourtant le témoignage d'un Bushi Hida jurant avoir
aperçu K en
visite auprès de son cul-de-jatte de cousin. Il était évident
qu'un
interrogatoire plus poussé de ce dernier s'avérait nécessaire.
Yoshi insista
pour obtenir l'aval des autorités de Kyuden Hida, alors que nous
montions la
garde en face de la demeure de J. J'accédais à sa demande tout
en attendant
l'arrivée de Sukunaï.
Yoshi revint arguant qu'il lui fallait quelques papiers en ma
possession
pour prouver ses dires aux obtus gardes du chateau. Puis il
repartit,
Sukunaï et moi l'avons attendu en vain. En desespoir de cause
nous nous
rendîmes à Kyuden Hida. Et là quelle ne fut pas notre surprise
d'apercevoir
quelques bushis prêts à projeter Yoshi dans le fleuve ! Le
pauvre était
inconscient, et sans notre intervention il aurait les poissons
(ou bien
pire...). Les soldats affirmèrentqu'il avait insulté un
officier et que ce
dernier avait du répliquer. Conclusion : la coopération n'est
pas le fort
des tueurs de gobelins. Chercher querelle aurait été folie et
donc nous
avons ramené Yoshi à la demeure de K, avant de rendre une
dernière visite à
J.
Et Amaterasu sait qu'elle ne fut pas courtoise ! Je n'avais plus
de
scrupules à l'interroger comme un heimin, aval des crabes ou
pas. Ce
misérable mais rusé pourceau a parlé bien vite, ce en échange
de mon
silence. Son cousin lui avait rendu visite le jour de notre
arrivée, puis
s'était enfui vers les terres Kuni. Sans attendre nous sommes
partis à bride
abattue vers ces landes maudites.
Il m'est difficile de décrire ces contrées. Le passage de
l'Outremonde a
laissé des traces purulentes. Plus rien n'y pousse, la terre y
est noire et
les arbres plus torturés qu'au sein de la forêt de Shinomen.
Une seule route
sillonne cette désolation. Comme des automates nous l'avons
suivie, à la
recherche d'une hypothétique piste. Notre seul espoir résidait
dans la
collaboration éventuelle d'un Kuni local. J'avoue que ce jour
là, la chance
nous fut favorable. Nous avons découvert une hutte au bord du
chemin. Son
occupant se montra d'abord rétif, mais il semble que le nom de K
(plus que
notre qualité de yoriki) l'ai fait changé d'avis. Ce Kuni avait
connu K, et
nous avoua l'avoir autrefois dissuadé d'étudier les arts noirs.
A la suite
de quelques explications de notre part, il accepta de nous aider.
Invoquant
l'aide des esprits il nous permis à moi et à Yoshi-san de
percevoir la piste
de K, comme si elle eut été luminescente.
Le fugitif avait quitté la route pour s'enfoncer dans les
landes, en
direction de collines. Il possédait trois jours d'avance, mais
contrairement
à lui nous étions montés. Nous avons galopé près d'un jour
et une nuit. La
piste nous a mené dans une étendue rocailleuse et morte. Seuls
quelques
hurlements effroyables en troublaient la sinistre quiétude.
Finalement les
pas de K nous conduisirent à un col escarpé, dont le sommet
était occupé par
quelque antique forteresse.
Nous y arrivâmes le jour suivant, non sans avoir perçu un
étrange tumulte
nocturne. Le fort offrait un spectacle mortifère, ses portes
défoncées il y
a longtemps par quelque chose sans nom. Il était prudent d'y
pénétrer un par
un et à pied. Je fus le premier à m'y engouffrer, et, passé
les portes je
découvris un spectacle effroyable. Un gigantesque squelette
revétant une
armure ancienne me fixait de ses orbites vides. Ses machoires
s'agitant en
un sinistre concert de craquements inaudibles. Me ressaisissant
je criais :
"A l'attaque !", pensant avoir affire à un séide de
l'Innomable. Mais force
était de constater que la chose ne nous était point hostile.
Sukunaï émit
alors l'hypothèse qu'il s'agissait peut être d'un ancien soldat
Crabe. Par
la suite mon ami moine contacta l'esprit du squelette, en
recourant à ses
étranges pouvoirs. Nous avons appris que la chose, comme ses
compagnons
(alors invisibles), protégeaient le fort contre la noirceur de
l'Outremonde.
Rompus par notre chevauchée, et constatant que le fort n'était
plus qu'une
vaste ruine, nous avons préparé un camp de fortune (reportant
par là même
notre traque au lendemain). Cependant la nuit ne nous apporta nul
repos. Il
y a bien longtemps, le fort fut assailli par une horde
monstrueuse et sans
cohérence. Tout ce que l'humain peut concevoir comme
abominations s'y
trouvaient rassemblées. Marchant, rampant, volant ou je ne sais
quoi encore,
toutes se ruèrent à la curée. La bataille dura une nuit et
seuls quelques
Crabes en réchappèrent, à moitié morts mais victorieux. Ce
que nous ne
savions pas c'était que ce terrible évènement se rejouait
inlassablement
chaque nuit.
Ainsi nous avons assisté au plus terrible des spectacles, à
cette bataille
de fantômes passant au travers de nos corps. Fatigués par les
cris et le
tumulte, nous avons cherché abri à l'intérieur du chateau.
Mais là aussi
l'histoire se répétait. Quoi qu'il en soit c'est là que nous
avons déniché
K, ce misérable pleutre, quasiment mort de peur devant les
ombres de ce
qu'il pensait pouvoir contrôler. Bien sûr l'appréhender n'a
pas été
difficile. Par la suite nous nous sommes éloignés du drame sans
fin.
Le jour venu, et avec l'aide de la sagesse de Sukunaï, nous
avons tenté de
percer le mystère de cet éternel affrontement. Si fantômes il
y avait, c'est
que nul esprit n'y avait trouvé le repos. Le garde squelette
disait devoir
achever sa mission, c'est-à-dire garder le fort. Ainsi donc, le
fort
n'aurait du être abandonné par le clan du Crabe; une menace
pesant encore
sur la région. C'est ce que nous avons expliqué deux jours plus
tard au
Kuni, sans qui la capture de K n'aurait été possible. Après
avoir devisé
quelques minutes, nous lui avons confié le soin de rendre la
paix aux
guerriers fantômes. Accomplir cette tache nous même, aurait
constitué une
provocation envers les stratèges de la famille Hida. Finalement,
nous sommes
repartis, après que K ait échangé quelques paroles avec son
ancien maitre.
Depuis nous chevauchons vers Ryoko Owari. Nous atteindrons la
grande cité
dans deux jours. Deux jours et je serai débarassé de cette
loque infecte de
K. Je n'envie pas son sort, mais je suis heureux d'avoir pu
accomplir mon
devoir. Il est évident que je n'aurais pu y parvenir sans
Sukunaï et Yoshi,
en cela je leur serais éternellement reconnaissant.
J'avoue avoir été intrigué par le comportement des Crabes,
dont la plupart
n'ont cessé de nous mettre des batons dans les roues. L'un d'eux
a même
tenté de supprimer Yoshi, malheureusement ce dernier ne se
souviens plus de
rien. Il y a quelque chose de pourri à Rokugan, et cette
pourriture atteint
jusqu'à ses plus dévoués défenseurs. Le "Grand
Ours" et ses généraux
manigancent quelque chose, et n'hésitent pas à défier le
pouvoir impérial.
Il est fort possible que le pire soit à venir.
Quant à moi, de retour à la civilisation, je vais me presser de
renouer avec
les bonnes manières. Ensuite je m'en irai explorer les recoins
les plus
troublants de l'île de la Larme, le repos du guerrier, en
quelque sorte...
Bayushi Dasan
Histoire par Alexandre Sombardier, merci à lui.