Journal d'un yoriki : chapitre I

 

Veille de la fête de Hida :
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La nuit tombe à peine et déjà une grande lassitude m'assaille. Mon corps
n'est que douleurs et mon esprit ne parvient guère à s'apaiser. Il faut dire
que les évènements de ces derniers jours n'ont rien de paisibles.
Comme vous le saviez, peu après notre arrivée à Ryoko Owari, Shosuro Rei-San
m'avait confié une tache d'importance. Il s'agissait d'assister un Tsukai
Sagasu (dont je tairais le nom) confronté à des cultistes d'Onnotangu,
semble-t'il réfugiés en ville.
Après une investigation fastidieuse la piste de ces méphitiques personnes
nous conduisit sur l'île de la Larme. Qu'est-ce à dire ? me demanderez-vous.
Sachez que l'île constitue le monde flottant de la cité des mensonges. Un
endroit où nul arme ne pénètre (en théorie) et où tous peuvent s'abandonner
dans les bras d'une courtisane, voire d'atteindre le suprême oubli que
procure le Vide Liquide.
Quoi qu'il en soit, alors qu'en cette nuit de réjouissances les feux
d'artifice embrasaient le ciel,  une maison de thé subissait les assauts
d'un monstre infernal. Et les lois du Kharma étant ce qu'elles sont, c'est
là que nous conduisait notre enquète. Le chasseur de sorcières et moi
pénétrâmes dans le dit établissement alors qu'un terrible combat s'y jouait.
A peine entré j'assistais avec stupeur à la mort d'un bushi du Lion,
littéralement balayé par une monstruosité aux multiples "bras". Plusieurs
braves semblaient aussi s'opposer à la chose, il s'agissait d'une troupe de
quelques Ronins, mais aussi d'un moine guerrier.
Alors que mon compagnon tentait vainement d'estourbir l'Oni à coups de pied
(courageux mais inefficace vous en conviendrez !) je tachais de me préparer
au combat, à l'affut de la moindre opportunité. Alors que le démon me fixa
de ses trois yeux, mon regard croisa celui d'un rayonnante jeune fille.
C'était l'une des Ronins et semble-t'il détentrice d'un sabre qu'elle me
lança. Sans plus attendre je me saisit de ce denier par quelque acrobatie,
alors que la chose par un bond monstrueux s'extirpait hors de l'auberge.
Malgré ma maitrise je ne pus l'atteindre au vol et, en moins de temps qu'il
n'en faut pour le dire il s'était évanoui. Les minutes qui suivirent me
permirent d'éclaircir une situation alors fort embrouillée. Je vais tacher
d'exposer les faits, un exercice périlleux comme vous allez le constater :
La nuit de la fête des morts avait vu la confrontation des Magistrats
d'Emeraude locaux et du monstre décrit plus haut, ce dans une auberge.
L'infernale créature ayant pris le soin avant de s'enfuir de massacrer trois
marchands Grues. De fil en aiguille et grâce à l'aide du magistrat grue de
la cité, les serviteurs du Champion d'Emeraude purent remonter la piste du
démon. Piste qui les conduisit tout droit dans un traquenard organisé par
les invocateurs de l'Oni. Ils y succombèrent tous après un rude combat.
Cependant l'une de leurs Yoriki et le membre du clan de la Grue précité en
réchappèrent. Ils furent manifestement sauvés par l'intervention d'un moine
et d'un Bushi Akodo lui aussi à la poursuite de l'Oni. Par la suite cette
invraisemblable équipée parvint à apprendre le fin mot de l'histoire.
Ainsi récemment une bande de brigands de la région s'étaient emparés de
masques de grande valeur. Or ces masques étaient destinés au culte du Dieu
Lune que mon compagnon Crabe cherchait à abattre. Le culte retrouva la trace
des brigands et exigea d'eux qu'on leur rendisse les masques. Or ces
derniers avaient été revendus...
Les brigands apparemment fort impressionnés par les menaces des cultistes
n'hésitèrent pas à invoquer un Oni afin de récupérer le précieux butin, et
ce avant le lever du soleil. Précisons d'ores et déjà que si la chose
passait la nuit sans remplir sa mission elle deviendrait un seigneur Oni !
Alors méticuleusement elle étripa tous les marchands susceptibles de détenir
les masques, afin de les ramener à ses maitres d'une nuit. Finalement elle
retrouva cet acheteur sur l'Ile de Larme. Il s'agissait de M, individu alors
en pleine conversation avec le moine Sukunaï, le Bushi Akodo Hanbeï, la
Ronin Maï et leurs compagnons. Malgré les efforts de ces derniers M ne put
être sauvé, et c'est alors que moi et mon compagnon Crabe nous fimes
irruption dans la maison de thé.
Parvenu à ce stade et ayant confronté nos savoirs sur l'affaire nous
décidâmes d'un commun accord de poursuivre l'enquête tous ensemble.La menace
était impressionnante, d'une part un seigneur Oni en puissance, de l'autre
un culte à la recherche de masques destinés à la Maho. J'avoue que les cours
Grues et mes enquêtes précédentes ne m'avaient guère préparé à cela. De
retour en ville (c'est-à-dire hors de cette île qui ne m'avait guère séduit
!) nous entreprîmes d'interroger les quelques marchands suspects d'avoir pu
acheter ces fameux masques. Il s'agissait de quatre membres du clan du
Crabe.
Malgré quelques interrogatoires peu civils aucun d'entre eux ne pu être
confondu, bien que l'un d'eux (un Kaiu) m'eut semblé fort troublé. Alors que
nous nous concertions sur la manière de dénicher ces maudits masques, nous
fûmes assaillis en pleine rue par trois shugenja, dont l'un perché sur une
toiture voisine. J'avoue que grâce aux compétences de mes compagnons d'un
soir, deux d'entre eux furent promptement maitrisés, le dernier ayant
rejoint ses ancêtres...
Près d'une heure plus tard nous interrogeâmes les survivants à l'hotel de
ville. Quelle ne fut pas notre surprise lorsqu'ils nous révélèrent qu'ils
agissaient au nom de K (l'un des quatre suspects crabes !). Leur senseï
leur ayant ordonné de nous supprimer, afin de récupérer les masques, qu'ils
pensaient en notre possession (ah si seulement...). En bref un
interrogatoire fructueux mais sans intérêt pour notre combat contre l'Oni.
C'était sans compter l'aide d'un magistrat Licorne alors présent, ayant
capturé un homme qui se révéla rapidement un seïde de l'astre nocturne.
Après l'avoir délivré de l'emprise de l'astre maudit, il nous révéla fort
opportunément ces quelques faits : le culte dirigé par le redouté O-Sama
s'apprétait à détruire "tout ce qu'appréciait Dame Soleil" (selon ses
termes) à l'aide de morts qui marchent, levés grâce aux masques. Il eut
aussi l'extrème délicatesse de nous indiquer la localisation du repaire des
cultistes. Cependant ce méprisable chien puant avait souillé la mémoire de
mes aïeux au su et vu de tous (ce sous l'influence du Dieu Lune), ainsi il
lui en coûta la vie (mon honneur est donc sauf).
Muni de cette information nous nous ruâmes vers le repaire des cultistes, où
l'Oni ne manquerait pas de frapper. Le susdit bâtiment était situé le long
des quais, mais qui aurait pu imaginer ce qui pouvait se tramer à
l'intérieur de cette demeure de marchands ? En réalité les cultistes
semblaient fêter un glorieux évènement au son du biwa. Puisqu'ils ne
daignèrent nous ouvrir leur huis, nous décidames de les confondre par
surprise. Le gros de notre troupe se massa devant l'entrée alors que moi et
Maï la Ronin nous nous faufilâmes par les toits, ce juste au dessus de leur
terrasse au bord de la rivière. Tous deux nous bondîmes alors à l'intérieur
de la demeure. L'effet de surprise aurait été total si Maï n'avait manqué de
tomber à l'eau et s'était aggrippée à la balustrade bruyamment. Ainsi je fis
face seul à cinq bushis, dont deux se ruèrent sur moi immédiatement
m'acculant contre la balustrade. J'avais cependant poussé mon cri de guerre
et mes compagnons faisaient irruption dans la salle principale. Un furieux
combat s'ensuivit. Malgré mes talents et le rapidité de ma lame je ne pus
blesser mes adversaires (l'un deux maitrisait les redoutables techniques de
l'école Hida), et dus subir leurs assauts conjugués. Pendant ce temps Maï
parvint à éliminer une femme shugenja d'un trait bien senti (c'était une
archère admirable !) avant de succomber sous les coups de son yojimbo. Quant
à moi je pus reprendre l'offensive, lorsque Sukunaï le moine anéantit l'un de
mes opposants. Mon dernier adversaire s'effondra après que j'ai pu enfin
briser sa résistance.
Au final Maï était morte mais tous les cultistes présents avaient été
neutralisés. Malheureusement pour nous l'Oni survint alors. Cette chose se
débarassa promptement du Ronin Gras-Double qui s'était opposé à sa
progression. Mais son sacrifice ne fut pas inutile car, usant du sabre que
m'avait confié Maï (en réalité une ancienne lame Grue) je pus blesser la
chose. Celle ci ne tarda pas à répliquer et m'envoya au sol sans ménagement.
Je ne sais comment j'ai pu retourner au combat. Une ardeur désespérée m'a
saisi et c'est à demi conscient que j'ai asséné le coup de grâce à la chose.
Cependant j'avoue que cet exploit n'aurait été possible sans l'héroisme de
mes compagnons et le sacrifice de l'honorable magistrat Grue.
Alors que je me remettais, Sukunaï et le chasseur de sorcières entreprirent
d'interroger les derniers cultistes vivants. Quant à moi une seule chose
m'importait, anéantir la menace morte-vivante qui, j'en étais convaincu,
prendrait pour cible le temple d'Amaterasu. Cette dernière intuition fut
confirmée par le seul cultiste rescapé, j'avoue d'ailleurs avoir supprimé
l'autre sans réflexion préalable.
Après quelques soins sommaires ce qui restait de notre équipée se rendit au
temple, où bientôt on procèderait à l'illumination de la ville. Illumination
réalisée grace au célèbre orbe du dragon. Il était évident qu'O-Sama et ses
créatures zombies s'en prendraient à cette relique. Fendant la foule masquée
nous parvinmes au temple accompagnés de quelques gardes tonnerre rameutés
par mes soins. Alors que l'aube s'annonçait nous décelâmes les zombies
masqués par une foule dense. Bientôt ces morts vivants s'en prirent aux
badauds. C'était sans compter sur nos talents et ceux des gardes tonnerre.
Puis Sukunaï me désigna un Shugenja en pleine invocation. Il était
accompagné par deux énormes zombies que nous réduisimes en poussière dans
l'instant. Alors que la terre commençait à trembler nous supprimâmes O-Sama.
Le jour put naitre, et la vie reprendre son cours paisible.

Après quelques péripéties sans grand intérêt, Shosuro Rei-san me confia la
mission d'appréhender le vil K. Accompagné de quelques soldats et de la
Ronin Nuikito (une ex-yoriki des magistrats d'émeraude) j'entrepris de
l'arrêtrer en sa demeure. Peine perdue, le rusé personnage avait déjà fui
vers les monts des terres Hida. Entretemps Doji Satsume-sama fit de ma
supérieure le magistrat d'Emeraude de Ryoko Owari. Ainsi ses serviteurs et
moi nous nous installames en la demeure des magistrats.
C'est un palais élégant et vaste qui fut meublé avec gout par Ashidaka
Naritoki, dont le cousin est semble-t'il l'otage d'un bandit nommé
Insaisissable. Les précédents magistrats négociaient avec ce dernier pour
qu'il rende sa liberté à Ashidaka Michitaka, ce en échange de la libération
d'un de ces lieutenants.
Cela je l'a appris de la belle Nuikito dont les oeillades ne me laissent pas
insensible. Quoi qu'il en soit cet "échange" ne m'intéresse pas, puisque je
me suis vu confier la tache de capturer K. En cela je serai aidé par Sukunaï
(dont la carrure m'évoque celle des bushis du Crabe) et par Shiba Yoshi, un
yoriki balafré dont les mouvements trahissent une compétence certaine pour
le bugeï (un bushi de cette trempe ne peut guère dissumuler sa valeur).
Je songe aussi à recourir aux services de Nuikito, mias est-ce réellement
pour ses talents ? Ah la chair est bien faible, sa présence à mes côtés
pourrait compromettre ma mission. La nuit porte conseil.

Déjà l'heure du Rat s'efface et mon poignet se fatigue. Je suis heureux de
m'être illustré lors de cette terrible nuit et j'espère être digne de la
confiance que me porte mon supérieur. Il faudra cependant que je tache
d'être plus réfléchi, les pulsions ne nous mènent qu'à la défaite. Un
guerrier lucide et posé ne considérant que son devoir, voilà ce que je dois
être. Comme le disait Shinsei ce monde n'est qu'illusions, autant donc
porter sur lui un regard paisible et réfléchi. Les émotions sont des voiles
qui altèrent le jugement et nous éloignent de l'Illumination.

Bien, après ces sages paroles il est temps pour moi de dormir. En espérant
qu'aucun mort ne vienne troubler mon sommeil...

Bayushi Dasan


Histoire par Alexandre Sombardier, merci à lui.

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