Duel au clair de lune

 


Le contexte : ceci est la narration par le samurai Mirumoto Ieyasu d'un duel
qui l'opposa à un autre samurai qui venait de violenter la fiancée de
Ieyasu...


     "Cette nuit là, au clair de lune, la mort me rendit visite pour la
première fois. Le ciel était clair, dégagé, et rien n'aurait pu mieux
s'accorder à mon humeur.
     Une séduisante harmonie gouvernait mes actes, ne doutant de rien je m'y
abandonnai. Mes pas me conduisirent bientôt au pied de cette colline boisée,
que ma belle appréciait tant. Le sentier qui conduisait à son sommet
serpentait au milieu des cryptomérias et des cerisisers. Aiguilles et fleurs
crissaient sous mes pas en un rythme martial. Puis vint le sommet, la paix
des hauteurs, juste troublée par le mélodie du ruisseau.
     Au dessus la voute céleste brillant de mille feux, en son sein
Onnotangu : l'astre vorace. Il me parut bon de composer un poème en
l'honneur de cette beauté. Mais à peine le premier vers achevé,
l'enchantement fut rompu. Des cris retentissaient en contrebas, des cris de
femme, une femme qui ne pouvait être qu'Akiko. Mu par je ne sais quelle
émotion, je dévalais la colline à toute vitesse. Sautant au dessus de
rochers, me ployant sous les branches, je fus en un éclair sur les lieux du
drame.
     Là quelle ne fus pas ma surprise de découvrir ma fiancée, à terre, à
moitié nue, sauvagement violentée par un de mes compagnons d'armes, Saburo.
Je le connaissais depuis mon Gempukku, presque amis et toujours rivaux dans
l'art du Sabre nous étions. Comme nombre d'autres il avait tenté de
s'attirer les faveurs de ma promise, mais quel samuraï de Mimasaka ne
l'avait pas imité ? Et voilà qu'il la battait, penché sur elle, tentant
desespérement de se débarasser de sa robe, afin d'assouvir ses plus vils
instincts !
     Un tel spectacle me terrifia tout d'abord, puis me reprenant je
l'invectivais en ces termes : "Arrête fils de chien ! Viens plutôt défendre
ton honneur ou ce qu'il en reste !"
     Interloqué, Saburo releva la tête me fixant, et malgré l'obscurité je
perçut la lueur de défi au fond de ses yeux. Sans même un regard il assena
un violent coup de poing à Akiko qui cessa alors de lutter. Puis réajustant
sa vêture, il saisit son Daisho et se releva. J'avançai alors vers lui, les
lames encore au saya. Je voulais dévisager une dernière fois cet homme que
j'appelais mon ami. Son crâne luisait sous la lumière argentée, ses traits
d'une beauté minérale contractés en un rictus de mort. Un instant nous nous
figeames tous deux, en un duel de regards.
     Puis vint la tempête, lorsque dans un vacarme métallique nos sabres
jaillirent hors de leurs saya. Niten contre niten, nous nous ruâmes l'un
contre l'autre en hurlant. Je fus le plus rapide. Dans un large mouvement
circulaire mon katana vint heurter son sabre court à hauteur de poitrine,
avant que mon second coup parvienne à percer sa garde par le bas, déchirant
son hakama.
     Le sang ne coula point, mais le premier assaut était mien. Je n'eu
guère le temps de m'en réjouir,  car déjà Saburo contre-attaquait avec
violence. Ses coups vinrent se fracasser contre mon daisho disposé en croix.
Son sabre long était piégé dans les écailles du dragon, et je tentais
désormais d'en tirer avantage. Mal m'en pris car je vis arriver le violent
coup de pied à l'abdomen qu'il me décrocha. La douleur fut terrible, et
c'est le souffle coupé que je parvins à esquiver les attaques qui suivirent.
    Il y eut ensuite cet instant où nos regards se croisèrent. Un battement
de cil pendant lequel nos vies se jouèrent. En chargeant une dernière fois
il avait souri, sûr de sa victoire. La lame pointée vers la terre, il
s'enfonça dans mon espace, fendant l'air en un coup ascendant. Si je n'avais
pivoté vers l'extérieur la mort m'aurait emporté. Je fus atteint au torse
mais pas assez gravement pour m'empêcher de le décapiter par derrière. Une
vague de douleur me submergea, tandis que je sombrais dans
l'inconscience..."

Mirumoto Ieyasu


Histoire par Alexandre Sombardier, merci à lui.

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